Come Down and Join the Circus [PV: Sasha]

Come down and join the Circus... voilà six semaines que Joke s'était évadé de prison. Etait-ce par pure provocation qu'il restait à Tokyo alors qu'il était toujours recherché ? Qui sait. Ne comptez pas sur moi ni sur Lunarfang pour vous le dire. En ce moment, il se contentait simplement de déambuler en ville, sans trop savoir quoi faire de ses journées. Tantôt il disparaissait dans des entrepôts ou usines désaffectées, pour faire un peu d'exercice, d'entraînement, tantôt il se baladait entre les commerces pour faire un peu de shopping. Cherchait-il à avoir des nouvelles de sa mère ou de son père ? Pas vraiment. Sa maternelle courait toujours par monts et par vaux, en mission pour les Yakuza, pendant que son père continuait certainement de jouer ses numéros de marionnettiste dans les pays Européens. Et Joke s'en moquait comme de son premier numéro de cirque. Ses parents lui avaient bien servi, maintenant ils ne faisaient plus partie de sa vie. Bien sûr cela pouvait toujours s'arranger s'il avait besoin d'eux pour obtenir des informations, mais tant qu'il ne voyait pas de nécessité à les contacter, il ne le ferait pas. Ca ne lui était d'aucune utilité.

Aujourd'hui, c'était journée shopping, ou du moins lèche vitrine. Il n'achetait pas des masses de trucs.Malgré sa richesse plutôt conséquente, obtenue grâce à un métier relativement bien payé, il pouvait s'acheter nombre de choses. Mais afin d'éviter les traces, pour ne pas qu'on le retrouve, il squattait un entrepôt désaffecté dans une zone industrielle. Il avait récupéré quelques trucs comme un vieux lit, un canapé défoncé, une table branlante, et avait juste acheté un micro-ondes et un frigo congélateur. Et il se contentait très bien de ça. Une vieille chaudière branchée non loin de l'arrivée d'eau lui permettait de prendre une douche, dans une cabine montée à la va-vite avec quelques plaques de plexiglas. Rien de plus, en somme, un vrai squat, mais parfaitement habitable, avec tout l'espace rêvé pour faire de l'exercice ou s'entraîner. Ainsi, acheter des bibelots ou des conneries du genre lui était complètement inutile. Une touche perso dans son habitat miteux ? Inutile et complètement décalé avec le style purement industriel du hangar.

Là, il était à un bar terrasse, profitant calmement de l'air chaud et de la légère brise qui soufflait sur son visage. Même six semaines après son évasion, il était heureux de sentir ce genre de choses, qu'il avait presque oublié en dix ans d'enfermement. Il avait beau être un fourbe assassin, violent et malsain, égocentrique et manipulateur, les choses simples pouvaient lui procurer du plaisir. C'était un contraste assez étonnant chez lui. Et c'était aussi ce qui le rendait si difficile à cerner. Il avait trop de facettes pour qu'on puisse les saisir toutes à la fois, et Joke ne cessait de surprendre son entourage, si on admettait la possibilité qu'il reste assez longuement avec quelqu'un pour qu'on puisse commencer à le connaître. Un jour on passe la journée avec lui, l'autre il disparait complètement, sans traces. Et un beau jour, il a besoin de vos services ou compétences, et vous envoie une demande de rendez vous, dans un endroit plus ou moins isolé, et le même homme revient, comme si le vide entre les deux rencontres n'avait pas existé. Et Joke était doué pour être insaisissable, même si dix ans auparavant... Il s'était fait attraper comme un bleu.

Une tasse de thé bouillant fumait devant lui. Ses doigts fins étaient enroulés autour de la petite anse en porcelaine. De temps à autres, il venait goûter le breuvage du bout des lèvres, et sa langue pointue venait récupérer quelques perles perdues de liquide sur ses lippes. Quelques personnes tournaient régulièrement la tête vers lui, intriguées et mal à l'aise. Il avait les cheveux rose pâle cette fois, et son tatouage en amusait plus d'un. De même, son regard malsain contrastait avec son attitude détendue et sereine, qu'il gardait en permanence. On aurait pu croire qu'il attendait quelqu'un, ou qu'il avait un rendez vous... Mais ce n'était pas le cas. N'importe qui pouvait s'asseoir à sa table, s'il ou elle était prêt(e) à prendre le risque.

Invité

Les cours n’avaient pas commencés, mon père avait eu peur que je m’ennuie pendant ce temps là, certaine que c’était une idée de mon cadet, il n’y avait que lui pour imaginer ce genre de bêtises… Du coup je m’étais retrouvée là… Jamais je n’aurais cru un jour que ça m’arrivait et même si c’était le premier jour de service autant dire que de jouer la serveuse dans un bar du coin ne m’intéressait pas mais alors vraiment pas du tout. Il faisait chaud, je m’ennuyais à mourir en pensant aux multiples dessins que j’aurais pu faire pendant ce temps là…

J’avais trois collègues sur cette terrasse, chacune travaillant ici depuis plus longtemps que moi avec un coin de cette terrasse bien définit. Du coup, j’étais obligée de gérer tous les clients qu’elles ne voulaient pas servir comme par exemple le vieux grincheux du matin ou cet homme aux cheveux si atypiques et aux yeux tellement dérangeants mais bon, avais-je vraiment le choix ?

-Hey Frey ! Une commande pour la 8 ! Une glace et un café ! Bouges-toi ils n’aiment pas attendre !

Et voila la première, petite brune bavarde et pitoyablement persuadé d’être supérieure aux autres, dans quoi j’étais tombée moi ? Et dire que je devais être souriante et aimable devant le client avec des greluches comme ça derrière… Je pris le plateau et posais doucement la commande dessus, ne pas être pressée, jamais. C’était dans ma nature, mais ça ne correspondait pas à ce métier. Comment est-ce que j’allais réussir à m’en sortir sans déprimer moi ? Se préparer mentalement, ma commande aussi était prête et je dévalais presque la petite pente qui me séparait de ces clients pressés, manquant tout renverser au moins une fois ou deux mais ne salissant même pas le plateau, vive l’équilibre du au sport.

Slalomer entre les tables, repérer la numéros 8, éviter les sacs et autres qui trainent par terre pour arriver à ce monsieur tout maigre et sa compagne tout sauf malingre qui semblaient mécontents, habitués capricieux. Ils semblaient les cumuler ici… Mais bon dans quelques semaines ce serait terminé mais pour le moment il fallait que j’esquive le gamin qui courait…

In extremis, il m’avait frôlé sans dommages mais maintenant les personnes accoudées aux tables me regardaient, moi qui voulais être invisible… Mais pas pour la gamine ! Non ! Si j’avais évité son camarade en me décalant de façon plus ou moins habile ici rien n’y fit et autant dire que la glace des impatients atterrit dans la chevelure de l’impatient et le café sur les vêtements de sa belle. Première journée de travail… Youpi les oiseaux chantent…

-Je suis désolée, excusez moi !

J’avais posé mon plateau sur la table et les regardais avec un air un peu paniqué. Heureusement, l’une de mes camarades vint à ma rescousse, cachant son sourire moqueur elle me permit de m’éclipser et calma les deux fous furieux si bien que le temps que je remonte avec mon plateau vide on n’entendait plus leurs vociférations de brebis galeuses. J’attendis dans un coin tandis que les deux autres demoiselles continuaient leur service en rigolant plus ou moins discrètement. Finalement ma sauveuse vint me voir vers la fin de la journée alors que j’avais été reléguée à la plonge.

- Bon… Ils sont calmés mais il va falloir rembourser le lavage de la veste… Sur ton salaire. Et en échange je n’en parlerais pas au patron.

J’hochais la tête, dégoutée quand l’une des deux autres serveuse vint nous rejoindre, visiblement elle semblait joueuse et vint murmurer quelque chose à l’oreille de sa compagne. Celle-ci souris et me proposa un autre marché.

-Sinon, tu vas causer avec le garçon de la table 7 à qui tu as servi un thé tout à l’heure… Tu sais celui avec des yeux de tueurs… Et en échange, je rembourse tout et personne ne diras rien… Tu devrais essayer, tu es gagnante à tous les coups là…

Je relevais la tête, acquiesçais, vaincue. Il ne devait pas être si terrible que ça mais il fallait avouer que je n’étais pas des plus à l’aise avec les inconnus surtout quand, rien que le fait de les servir me rendait mal à l’aise. Du coup, je redescendis la pente sous des yeux moqueurs, hésitais un instant et finit par m’assoir en face de cet homme aux cheveux rougeâtres.

- Vous dérange si je reste un peu avec vous ? Me permettrait de ne pas me faire virer…

Je levais des yeux presque implorants vers lui, nouant et dénouant mes mains de façon rapides. Qu’importe ce qu’il me dirait, qu’il me parle juste pour qu’elles soient contentes et qu’elles se taisent.

Les paroles rouges correspondent au discourt de l'une des serveuses
[Bon, ptet pas mirobolant... j'espère que ça t'ira]

Tant de bruit autour de lui. Tant d'agitation inutile, un frémissement général. Celui de la vie quotidienne. Des gens venus, tout comme lui, passer un peu de bon temps, se rafraîchir et échapper quelques dizaines de minutes à la chaleur écrasante.

Ceci dit il préférait largement les ignorer. Ce n'étaient pas eux qui allaient anéantir ce sentiment de sérénité et de liberté, longtemps recherché et convoité durant sa période d'emprisonnement. Il avait en outre beaucoup changé depuis qu'il était jeune si bien qu'il était peu probable qu'il se fasse repérer. Son nom était peut être connu des forces de l'ordre et de ceux qui regardaient parfois les infos. Mais quelle importance. Même si son surnom aussi, Joke, était connu, nombre de personnes pouvaient s'appeler ainsi. Ou peut être pas. Quoi qu'il en soit ce n'était pas un souci des plus prioritaires. Pour l'heure il profitait plein pot de sa récente liberté et n'était pas prêt de laisser quiconque se mettre en travers de son chemin. Quand on y pense, même avant son arrestation, il était moins instable et imprévisible que maintenant. A l'heure actuelle il avait quelque chose à défendre, chose qu'il ne possédait pas dix ans plus tôt.

Derrière lui, ou dans ces eaux là, un carnage sonore finit par se faire entendre. Une des serveuses avait apparemment fait une bourde, s'il en jugeait d'après les cris de frustration et les excuses bafouillées à l'adresse des clients. Il n'aurait jamais pu travailler dans un restaurant, bar ou autre établissement du genre. C'était d'un ennui... Et l'ennui était certainement le sentiment que Joke haïssait le plus. Il vous ralentissait, vous pompait votre énergie, anéantissait votre moral... bref, que des des points négatifs. Et qui plus est, il aurait été de se soumettre à quelqu'un, chose impensable pour quelqu'un comme lui. Il connaissait parfaitement le concept de soumission, car plusieurs fois il avait soumis des gens à sa volonté pour se servir d'eux. Mais pas une seule fois il eut souhaité que les rôles soient inversés. Être marionnettiste était bien plus drôle que d'être le pantin.

Peu de temps après, une des serveuse vint s'asseoir devant lui. Il ne l'écoutait qu'à moitié, et bien qu'il entendit ce qu'elle dit, il ne répondit pas tout de suite. Il posa un doigt sur ses lèvres, lui intimant de se taire, et continua pendant quelques minutes à savourer son thé, jusqu'à la dernière goutte. Avant qu'il refroidisse. Peu après, il tourna avec une lenteur mesurée ses prunelles assassines vers elle, et haussa légèrement un sourcil.

"on te demande de venir me parler et rester ici pour ne pas que tu te fasses renvoyer... n'est-ce pas une façon un peu étrange de troquer la survie de ton emploi ?"

Il eut un petit rire amusé, et sortit un paquet de cartes de sa manche, commençant un solitaire. Il tirait et plaçait les cartes habilement, avec une rapidité surprenante. A croire qu'il ne faisait même plus attention à la jeune fille qui venait de s'installer. Ce qui en soi.. .était presque le cas. Si on lui avait demandé de venir le voir, peu importe qu'ils discutent, non ? Cela n'étaient pas ses affaires. Bien que le fait qu'on le mêle à des histoires aussi stupides le dérange tout de même quelque peu.

"Hum eh bien... Puisque vous avez décidé de me mêler à vos histoires, puis-je au moins savoir ton nom ?"

Il n'avait pas levé la tête en prononçant ses mots, terminant et recommençant sans cesse de nouveaux solitaires. Ses cheveux roses tombaient lâchement sur ses épaules, et ses yeux suivaient les mouvements de ses cartes. Il avait l'air détendu, mais la fourberie, la ruse et l'aura malsaine qui se dégageaient de lui étaient clairement perceptible, même par quelqu'un de peu réceptif. Quant à la serveuse, il ne savait pas si elle le reconnaîtrait, et s'en moquait complètement. Sa voix aussi était très calme, mais avec une nuance de lenteur et de méchanceté qui provoquait un contraste pouvant s'avérer des plus désagréables. Il commençait finalement à se douter de la raison de la présence de la serveuse. Pas étonnant qu'il eut été choisi comme cible, finalement.

Invité

Il avait les cheveux roses et ses yeux verts m’avaient un instant fixé, me donnant froid dans le dos. Il était étrange, je l’avais déjà senti lorsque je l’avais servi un peu plus tôt, un sentiment glacial, dérangeant. Maintenant je me trouvais face à lui et cette impression était toujours présente, tu m’étonnes que personne ne veuille le servir. Il me demanda de garder le silence le temps qu’il finisse son thé. Il m’avait donc accepté en face de lui, j’avais peut être une chance de ne pas me faire virer de ce pitoyable restaurant, ils n’appelleraient pas mon père pour le prévenir, il ne me passerait pas un savon et ne m’obligerais pas à revenir en Allemagne. J’aimais mon pays mais je n’avais pas envie d’y retourner pour le moment, surtout si c’était pour se retourner face à un père plus rouge que les feux de l’enfer qui vous prenait pour un enfant indigne. Enfin bon.

Il avait trouvé tout de suite pourquoi j’étais venue, hasard ? Déduction ? Ou nous avait-il juste entendues ? Non c’était impossible, juste un peu de chance. Mais j’avais eu l’impression d’être grondée par un homme mécontent qui me considérait comme plus bas que terre ce qui n’était pas une sensation des plus agréables. Pourtant, si tout à l’heure j’avais prié pour ne plus être ici, maintenant je n’étais pas sure de vouloir partir.

En effet il jouait au carte, non il faisait plus que jouer. Il les faisait danser sur la table. Celles-ci s’échangeaient sur la surface comme dans un de ces ballets dont je n’avais vu les représentations qu’à la télévision. Un instant j’oubliais qui était en face de moi, me concentrant seulement sur les échanges rapides que ses mains effectuaient avec des petits bouts de papier anodins. Je n’arrivais pas à suivre tous les mouvements mais tout ce que j’arrivais à percevoir en valait la peine et lorsqu’il me demanda mon nom je ne lui répondis que par un :

-Sasha… Et vous ?

Réponse rapide sans même lever les yeux, je voulais juste savoir comment il faisait pour échanger ainsi les cartes dans ses mains. J’aurais bien sûr surement du me méfier comme je l’avais fait au début, continuer à avoir peur et ressentir cette sensation de mal être qui me permettais en général d’éviter quelques ennuis. Mais là j’étais juste subjuguée par des passages de carte rapide, plus rien n’importait, ni cet homme des plus étrange et surement des plus dangereux, ni les trois demoiselles qui voulaient que je les amuse un certain temps en me donnant des défis stupides, je voulais juste savoir comment il faisait. Comme une somnambule, je sortais de ma poche sans la regarder une sucette au citron que je déballais des plus rapidement afin de ne rien perdre de cet étonnant spectacle. Une fois la sucrerie entre les dents et le papier retourné à son état naturel, c'est-à-dire dans ma veste, je me lançais. Maintenant que j’avais de quoi me motiver, il me suffisait de prendre mon courage à deux mains. Un grand sourire plaqué sur les lèvres et les yeux braqués sur ces petits bouts de papier colorés je lui demandais sans chercher à savoir s’il avait finit son tour ou non.

-Comment vous faites ça ?

Je ne savais pas si le temps minimum était requis pour me permettre de ne pas rembourser veste et chemise sans prix mais je comptais bien rester jusqu’as qu’il m’apprenne. Ou du moins qu’il me donne un truc pour commencer ou tout simplement me demande de m’en aller.

Effectivement, les cartes effectuaient un véritable ballet entre ses mains. Plus encore lorsqu'il mélangeait les cartes avant d'entamer une nouvelle partie. Il n'y avait pas de mode d'emploi. Seulement deux décennies d'entraînement et de maîtrise continus. Un talent certain dans l'illusion et la prestidigitation. S'il y avait bien une façon de faire, Lunarfang ne la connaissait pas. Il était en symbiose avec ses cartes, et pouvait leur faire faire autant de choses qu'un marionnettiste pouvait faire avec son pantin.
Il finit cependant par ranger ses cartes. Curieusement, elles émirent un très léger cliquetis lorsqu'elles rentrèrent dans leur boîte. Cela ne se voyait pas à l'oeil nu, mais elles n'étaient pas uniquement constituées de carton. Il avait, au prix d'un travail long et difficile, alourdi chaque bordure des cartes avec de fines barrettes de plomb, et y avait soudé de très fines lames. Cela permettait de donner une grande vitesse à la carte lorsqu'elle était lancée, et qui plus est, accroissait son pouvoir tranchant et perçant. Des armes redoutables dont il se servait en quasi permanence lorsqu'il travaillait en tant que tueur à gages. C'est ce qui expliquait l'épaisseur des cartes, qui étaient un peu plus volumineuses que la normale.

Il sortit un second paquet de cartes, et les mélangea, tout aussi rapidement que les précédentes. Il posa ensuite le paquet devant la dénommée Sasha.

"Dans le milieu on m'appelle Joke ~"

Il esquissa un léger sourire, et approcha doucement son visage du sien. Arrivé à une dizaine de centimètres de sa figure environ, son sourire s'élargit, et sa main vint effleurer une des mèches noires parsemant la chevelure de la jeune fille. Lorsqu'il ramena ses doigts sur la table, quelques pièces y étaient glissées. Il les déposa à côté de la tasse de thé, et recula à nouveau.

"Il n'y a pas de mode d'emploi. J'ai toujours eu certaines... affinités avec les cartes, et je les exploitées depuis que je suis tout petit."

Rien de plus. Pas un indice ni même une façon de tenir les cartes. Le paquet posé face à elle était une invitation à essayer et à s'entraîner, tant qu'à faire. Il ne se faisait pas d'illusions sur le résultat. Il s'en fichait même. Essayer de comprendre les actes et paroles de Joke était souvent chose difficile, voire impossible. Parce qu'il ne faisait aucune distinction entre bonnes et mauvaises actions, parce qu'il se moquait des conséquences engendrées par ses actes. Quand il s'y intéressait, c'était justement parce qu'il prévoyait un acte qui engendrerait telle conséquence, en sa faveur, forcément. Ou parfois en sa défaveur, mais c'était extrêmement rare qu'il veuille lui même se plonger dans le pétrin. La fois où il l'a fait, cela lui a coûté dix ans de sa vie. Il serait plus prudent désormais.

"Les pièces, c'est pour le thé, même si j'en ai mis un peu trop. Ca fera du pourboire."

Il sortit son téléphone, une espèce d'antiquité sans la moindre valeur, ni couleur, ni même toutes les options que l'on peut trouver sur les engins actuels. Il donnait tout de même l'heure. Déjà dix huit heures. Il était donc temps de retourner flâner autre part. Se levant brusquement, il s'étira longuement, laissant échapper un long soupir de satisfaction, puis baissa ses prunelles perçantes sur Sasha. Normalement pour une serveuse les services finissaient relativement tôt. Son pari lui mandait-elle de le suivre même s'il partait prématurément ? On allait bien voir. Un léger sourire se dessina sur son visage malsain et tatoué, puis il se retourna, levant la main en guise de salut.

"J'imagine que tu as gagné ton pari, alors à plus, on a tendance à s'ennuyer ici... See ya."

Invité

Je le dérangeais tant que ça ? Après tout, il devait s’attendre à ce que je l’ennuie si j’étais venue m’assoir en face de lui. Une demoiselle qui s’assois en face de vous, qu’elle soit jolie ou non, avait généralement un but derrière la tête, qu’il soit pieu ou non. Dans mon cas je voulais juste me débarrasser de ce pari et garder mon job. Qu’importe si ce client ne revenait jamais à cause de moi, pour le peu de temps ou j’allais rester ici à être pressée pour servir des inconnus éternellement mécontents. Au contraire, elles devraient me remercier pour cet acte, ce serait pour elles un homme étrange de moins à servir dans leurs territoires délimités à un certain nombre de tables.

Etonnant, il n’avait en vérité rangé son paquet que pour en sortir un autre. Pour moi ils étaient strictement identiques mais après tout c’était lui le pro pas moi. Je ne pouvais que le regarder faire. Je n’appréciais cependant pas le fait qu’il s’approche ainsi de moi. Joke, comme le prisonnier évadé dont j’avais entendu parler à la radio. Un instant j’eu un doute
Habituellement j’aurais fait dégager ce visage qui se rapprochais trop de moi avec un regard, une parole ou un mouvement plus ou moins discret mais là je ne savais pas, c’était peut être réellement cet homme que tout le monde recherchait. Son regard trop près pour moi semblait vouloir dire ça, j’avais envie de fuir, juste éviter de lever les yeux au dessus de ces deux tatouages qui semblaient avoir vu tant de choses des plus désagréables. Pourtant je n’arrivais jamais à me soustraire à ce genre de choses, il y avait des nuances que l’on ne pouvait trouver que dans les yeux, des sentiments aussi ? Pourtant ce que je voyais ne me donnais pas envie de m’approcher plus, il y avait à la fois trop et pas assez de couleurs pour moi. Du coup je reculais, plus fort que moi ? Surement, ce n’était pas si dur que ça de l’être. A moins que ce ne soit qu’une apparence…

Il avait finit par reculer, méchant sourire, sale main contre mes cheveux, l’argent sur la table à coté du paquet de carte que je n’avais pas encore touché et avec lequel je ne risquais pas de jouer pour le moment. Son visage avait ôté de ma tête toute envie d’apprendre étonnant comme ses mains donnaient envie de s’intéresser à ce qu’il savait et son visage rebutait toute tentative. Je restais donc immobile jusqu’as qu’il se lève et finisse par s’en aller. Je le regardais sans trop savoir ce que je devais faire. Après tout depuis combien de temps étions nous en face ? J’avais remplis ma part du contrat et il ne me restait plus qu’à ramasser ses affaires, remonter dans le repaire des trois demoiselles, ranger un minimum, rentrer chez moi et maudire le prochain jour jusqu’à la rentrée. Je mis donc les sous dans une de mes poches histoire de ne rien perdre en route, la tasse de thé et ce qu’il y avait autour dans une main pour ne pas avoir à redescendre tout à l’heure. Je remarquais alors le paquet posé sur la table bien sagement. Ces cartes ne m’appartenaient pas, il allait falloir que je les rende malgré le fait que je n’ai aucune réelle envie de me retrouver face à cet homme.

Reposant tout sur la table, je partais le chercher, il n’était certes pas loin mais je n’étais pas motivée non plus. Je voyais sa silhouette se dessiner un peu plus loin et du donc m’obliger à crier pour qu’il puisse m’entendre. Bien sûr je passerais pour une cruche parfaite mais je ne voyais pas ou était le problème, après tout je n’étais plus à ça près avec lui. Je finis par me mettre à courir pour le rattraper, le dépasser et lui tendre son paquet.

- Vous l’aviez oublié, je ne vais tout de même pas vous démunir d’un paquet de carte alors que je ne suis pas sure de savoir m’en servir un jour…

J’espérais maintenant qu’il me remercie juste et s’en aille, que je ne puisse garder son image qu’en souvenir. Pourtant un tremblement sous mes pieds me fit reculer. Plus rien, puis à nouveau ce tremblement. C’était quoi ? Nouveau choc, plus fort, plus méchant, j’avais du mal à tenir sur mes pieds. Tout vibrait bien plus que dans n’importe quel jeu de foire et puis, nous n’étions pas à la foire et ce qui tremblait maintenant c’était le sol ! Tremblement de terre ? Je n’en avais jamais ressentis et le fait de tomber à même le sol, sentir cette immense bête se contracter et se mouvoir sous mes pieds me remplissais d’horreur. Ne plus pouvoir bouger, être obligée de rester ainsi à la merci de tous ces éléments autrefois immobiles qui étaient maintenant comme doués de vie propre. Seulement ils n’étaient pas encore capable de marcher et tombaient tous les uns sur les autres et donc sur moi par la même occasion. Me glisser un peu plus loin, éviter de me faire ensevelir par tout ça, carnage total, chant des hommes effrayés et des objets abimés. Mes oreilles.

Puis comme c’était venu, l’animal s’ébroua une dernière fois puis se calma, laissant la rue pleine de saletés qui n’auraient jamais dû être ici. Punition divine ? Pourquoi et pour qui ? Dans quel but ? Il y avait au milieu des gravats et autres choses que la terre avait mis au grand jour sur la rue et les voitures des cartes. Bien plus que cinquante-quatre en tout cas, peut être même le double. Les gens étaient descendus, aidaient à remonter ceux qui étaient tombés avec les murs et moi je ramassais les cartes, allez savoir pourquoi. J’étais sous le choc, j’avais mal à la tête et ces cartes au poids et à la taille à peine différente mais elles venaient de prendre une importance capitale pour mon cerveau qui devait pour le moment tourner à l’envers. J’avais eu trop peur de cet accès de mécontentement de notre génitrice universelle et il fallait que je me raccroche à quelque chose de palpable et je n’avais pas dû trouver meilleur objet pour me raccrocher à la réalité.

La seule chose que je savais pour le moment, l’étrange peut-être évadé aux cheveux rouges et aux yeux étranges avait disparut et il y avait deux sortes de cartes par terre.

Parti. Oui, il avait littéralement abandonné Sasha sans rien demander. Ni qu'elle le suive, et sans même la remercier pour le service. C'était typiquement sa façon de fonctionner. Quand il avait envie de partir il dégageait, et ne répondait généralement pas quand on lui demandait où il allait. Laisser planer le doute et énerver les autres étaient une sorte de spécialité ou de don chez lui. Et quand il se plaisait à humilier publiquemement quelqu'un, si cette personne répondait à ses provocations, cela montrait à quelle point elle était stupide. Entrer dans les jeux vicieux de Lunarfang était une chose déconseillée quand on était pas habitué au terrain. Malheureusement, on avait beau avoir l'habitude, une autre des caractéristiques de Joke était de changer le relief du terrain, de modifier sa texture et sa consistance, pour perdre ceux qui tentaient de vaincre ses jeux pervers. C'était simple, une fois qu'on entrait dans le monde délirant de Joke, on avait peu de chance d'en sortir, et encore moins d'en sortir indemne.

Cependant, contrairement à ce qu'il pensait, la jeune serveuse finit par le rejoindre. Pour lui rendre ses cartes. Qu'avait-il à faire de quelques bouts de cartons sans valeur ? Oui, il adorait les cartes. Oui, il s'agissait là de son principal instrument. Mais pour des cartes communes, il ne montrait aucune affection. Il n'était pas du genre matérialiste. Les seuls objets auxquels ils tenaient étaient les cartes qu'il avait lui même modifié. Qu'elle vienne les lui rendre alors qu'il s'en moquait complètement... Il trouvait cela légèrement stupide.

"C'est clair que si tu ne les gardes pas, jamais tu ne sauras t'en servir. Garde les donc, elles ne me sont d'aucune utilité."

Cependant, à peine levait-il la main pour refuser ce qu'elle lui donnait, qu'une secousse mit son équilibre en danger. Il fit un léger bond pour le récupérer, et baissa les yeux. Il n'avait pas rêvé. Ses sourcils se froncèrent légèrement. Il n'aimait pas le Japon pour cette raison. Les secousses sismiques étaient fréquentes, et parfois très violentes. Or, s'il s'agissait seulement d'une pré-secousse, les prochaines allaient être bien plus grave, une fois qu'ils seraient au coeur du déchaînement du tremblement de terre.
Joke n'était pas du genre à fuir, même quand il le devait. Il restait planté au même endroit, et se battait pour que sa place ne soit pas prise. Mais il reconnaissait volontiers que les forces naturelles étaient bien supérieure à sa condition humaine. C'est pour ça qu'alors qu'il sortait ses cartes pour les montrer à Sasha, il prit la fuite. Et pour cela, il était doué. Les cartes s'envolèrent complètement, pendant qu'il prenait la poudre d'escampette. Non loin à vrai dire. Il voulait juste passer le moins de temps possible au sol, car il tremblait avec violence. Il courait donc d'une curieuse façon... Par longues enjambées, et faisant en sorte que son pied touche le moins de fois possible ce sol qui s'ébrouait sous eux, sous la ville. C'était difficile, et plusieurs fois, il manqua de tomber, au risque de se laisser piétiner par les fuyards effrayés, qu'il bousculait sans ménagements pour se frayer un passage.
Qu'ils étaient stupides... Dans la rue où ils étaient se trouvaient trois immeubles bâtis sur des fondations hydrauliques, à l'architecture antisismique. Un hôtel, un centre d'affaires, et un dernier bâtiment, sûrement résidentiel si on en jugeait d'après les plantes sur les balcons, et les divers outils ménagers. Il n'avait pas prévu le séisme sinon il serait entré dans l'un d'eux, mais c'était typiquement le genre de choses qu'un ex tueur professionnel remarquait au premier coup d'oeil, "au cas où". Dans ce genre de métier on n'était jamais sûr de rien, et surtout, jamais en sécurité. Il ne savait pas si Sasha l'avait reconnu, mais ça faisait déjà partie des éventualités, et il savait déjà comment il réagirait.

Calculateur comme il l'était, un de ses passe temps était de réfléchir le plus possible à ce qui l'entourait. Son tempérament solitaire le lui permettait, et il envisageait divers scénarii en fonction de ce qu'il vivait, avant de sélectionner ceux qui avaient le plus de chances d'arriver. Après cette étape, il choisissait soigneusement ses réactions, prenait connaissance des conséquences de celles ci, et était préparé à toute action, de cette façon. Une façon de se conduire assez malhonnête, et surtout assez dérangeante pour les autres, qui avaient finalement l'impression que rien ne pouvait le surprendre. Alors que cela pouvait arriver ! Mais son inexpressivité n'avait que très peu de failles. Souvent, les gens le fuyaient, pour son regard, ses rires enfantins délirants, sa voix douce mais trop inquiétante pour être honnête... Et ceux qui restaient finissaient par s'ennuyer, parce qu'il ne révélait que rarement ce qu'il pensait. Pour parfaire et noircir encore un peu le tableau, notons aussi que Joke joue souvent sur deux tableaux. Quand il était encore tueur à gages, combien de fois avait-il vendu des renseignements aux autorités locales pour que d'autres tueurs se fassent arrêter ? Combien de fois les avait-il même guidé jusqu'au lieu du prochain meurtre, en leur disant comment monter leur planque, en leur donnant une description précise du futur assassin... Et tout ça, pour qu'il puisse lui même se charger du contrat et empocher la récompense. Oui, Joke n'était pas du tout quelqu'un d'honnête ni même de gentil. Après tout, que ces tueurs, collègues, ou même personnes qui le considéraient parfois comme un ami avaient presque tous fini sur la chaise électrique, ou dans la chambre à gaz. Cela lui importait-il ? En aucune façon. Il s'en moquait complètement. Ce qui l'intéressait dans tout ça, c'était la manipulation totale des êtres qui l'entouraient, et le perfectionnement de son propre talent. Le reste lui était foutrement inutile.

Il pénétra rapidement dans le bâtiment, et alla s'installer dans les étages. Normalement, les systèmes d'ascenceurs étaient protégés des secousses, par leurs parois. Les coupures dans ce genre de cas étaient extrêmement rares, et il y pénétra sans se faire trop de soucis. Dans le pire des cas, il sortirait par la trappe.

"Hai hai... Encore une secousse... Et avec ça j'ai perdu mes cartes, je suis verni aujourd'hui... Hmm... Oh."

Il esquissa un léger sourire, en sortant la seule carte restante de sa poche. Le Joker, symbolisé sur la carte par la Faucheuse. Il aimait bien ce genre de hasard, qui donnait toujours l'impression d'être des signes du destin ou de l'avenir. Il n'y croyait pas une seconde, tout en gardant une certaine réserve. Après tout, il pouvait justement s'agir de signes, ou d'interventions de force surnaturelles. Qui sait...
L'ascenseur s'arrêta au deuxième étage. A l'intérieur du bâtiment, l'hôtel en l'occurrence, il y avait eu beaucoup de bruit, mais plus de peur que de mal. Certains, mêmes natifs du Japon, avaient peur des secousses ou n'y étaient pas habitués. Est-ce que Joke avait ressenti cette peur ? Oui, et à plusieurs reprises. D'ailleurs, un des gravats lui avait frôlé la boîte crânienne pendant sa course effrénée, et du sang avait coulé et coulait toujours sur son front et le côté droit de son visage. Il sentait, même s'il n'y touchait pas, la vitae brûlante caresser sa peau et dégouliner avec lenteur sur ses vêtements. Une sensation plutôt agréable, bien que douloureuse, qu'il adorait ressentir. Sauf que la plupart du temps, c'était le sang des autres qui se retrouvait à cette place, et non l'inverse. Mais soit...

Il sortit sur le balcon d'une chambre inoccupée, prudemment. La secousse provoquait toujours ses ravages dans la rue. De son point de vue, accoudé tranquillement à la rambarde comme un touriste, il pouvait voir de profondes fissures dans le bitumes. Il y avait de nombreux accidents de voiture, forcément, et une foule de blessés légers qui couraient dans tous les sens comme des poules effrayées. Un rictus de dégoût se dessina lentement sur ses lèvres. Oui, cette scène lui inspirait un profond mépris. Qu'on ne vienne pas lui reprocher sa misanthropie ou le fait qu'il soit un enfoiré avec la plupart des gens peuplant cette terre. Quand on voyait ce genre de scène, toutes ces personnes, qui au lieu de s'entraider, couraient dans tous les sens, bousculant, piétinant, hurlant, pleurant... on avait juste envie de tous les massacrer. Ils étaient ridicule, et lui rappelaient le pire des numéros du Cabaret Noctem, celui des frères Janga et Jingo, les deux pires clowns que le monde ait connu... Au bout de quelques minutes, le sol redevint calme et la terre s'apaisa. Les yeux mortels de Joke balayaient la rue, se demandant pendant un bref instant si Sasha s'était faite broyer sous les décombres, ou si elle avait évité le pire. Et un coin d'agitation lui démontra qu'elle était toujours en vie. Il vit aussi quelque chose de beaucoup moins plaisant. C'était elle qui ramassait ses cartes adorées. Celle qu'il bichonnait depuis des années. Celles qui avaient ôté tant de vie, et sentait le sang rance à des kilomètres. Il fronça les sourcils, toute trace d'amusement quittant peu à peu son regard. Ce genre d'expression et de sentiment -la colère- était très rare chez lui, et généralement de très mauvaise augure. Il sortit la dernière carte qu'il lui restait, et, faisant appel à toutes ses compétences d'ex tireur au fusil sniper, visa soigneusement. Il ne voulait pas rater son coup. Il lança avec violence la carte vers le bas, droit vers Sasha. Voulait-il la tuer ? Si ce n'était pas le cas, en tout cas, ça en avait tout l'air. Mais après quelques secondes de suspense, où même Joke se demanda s'il n'avait pas lancé la carte un peu trop haut, elle atteint sa cible. Le paquet de cartes qu'elle tenait entre les mains. Juste dans la tranche, suffisamment pour que la force du coup vienne les faire tomber à nouveau.

"Tsh... Allez, c'est parti pour un peu de varappe."

Joignant le geste à la parole, il s'élança par dessus la rambarde du balcon, et descendit avec précaution et agilité jusqu'au balcon inférieur. Il réitéra le processus, et en une trentaine de secondes, il était arrivé au sol. Seul le saut qu'il fit à la fin pour descendre sur la terre ferme secoua ses chevilles, à cause de la hauteur et de son poids. Et même s'il commençait à souffrir sérieusement, à cause des douleurs combinés de son crâne toujours ouvert et de ses chevilles meurtries par son saut, n'espérez pas voir quelconque trace de souffrance sur son visage. en l'occurrence, il avait l'air suffisamment mécontent pour qu'on le pense capable de commettre un meurtre sans sommation dans les prochaines minutes. Il ramassa lui même chacune des cartes modifiées, et récupéra celles qui étaient dans le paquet tombé au sol. Il les compta rapidement. Le compte y était. Les autres il s'en moquait, Sasha n'avait qu'à les ramasser si elle le voulait.

"La prochaine fois que tu touches à ces cartes demoiselle, ce seront elles qui te toucheront, et crois moi, tu le regretterais amèrement, j'espère que nous nous sommes entendus."

Il l'observait fixement quand il parlait. Plus d'amusement ni d'ironie dans ses yeux. Uniquement cette colère sourde et froide. Même sa voix, ordinairement douce, avait perdu ce côté soyeux pour revêtir un aspect bien plus rêche et glacial. Il valait mieux qu'elle accepte. Joke était doué en négociations, mais là, il n'était plus question de diplomatie. Le connaissant, on pouvait déjà savoir ce qu'il entendait par "ce sont elles qui te toucheront".

Ceci étant dit, son visage redevint rapidement le même qu'avant, et sa voix aussi. Il essuya d'un geste désinvolte un filet de sang qui menaçait de lui couler dans l'oeil, laissant le reste, et esquissa un petit sourire, moqueur et amusé.

"Pas trop de frayeur, sinon ?"

Invité

Impact, pas de contact mais impact. Les cartes étaient tombées, elles étaient maintenant à nouveau au sol. Qui avait bien pu faire ça ? Il n’y avait pas de vent donc ce n’était pas lui. Je tournais plusieurs fois sur moi-même pour tenter de déceler le coupable qui devait se cacher entre les gens qui couraient et se poussaient pour s’aider ou bien se gêner. Puis je l’avais vu, il n’était pas entre les gens mais au deuxième étage d’un immeuble. Enfin non, il était au premier… et puis au rez-de-chaussée…

Cet homme était vraiment trop étrange. J’avais un instant cru délirer en le regardant descendre d’étage en étage sur les balcons. Du coup je m’étais pincée pour être sure que je ne rêvais pas. Et non, j’étais bien dans la réalité, savoir si je le regrettais ? J’étais toujours en vie, rien de cassé, j’avais mal au bras vu que j’étais en train de me pincer mais à part ça tout semblait aller bien… Enfin, j’avais retrouvé une partie de ma capacité de réflexion mais toutes les cartes étaient tombées de nouveau et il les avait ramassées à la vitesse de l’éclair. Pourtant il en restait encore au sol. Comme je m’en doutais maintenant que j’étais moi-même en entier, il devait y avoir plusieurs sortes de cartes, les premières que j’avais vu, il ne me les avait pas laissées toucher et maintenant les ramassais aussi vite qu’il pouvait tandis qu’il était prêt à me laisser le second paquet entre les mains.

Puis ce regard, des plus mauvais. J’avais peur certes, mais je n’aimais pas qu’on me regarde ainsi, s’il voulait une raison de me menacer il n’avait qu’à me donner une raison pour ça. J’avais compté l’aider et voila comment j’étais remerciée. Non pas que je cherchais à avoir les éloges d’un inconnu pour lui avoir ramassé ses cartes mais il y avait tout de même des limites. Du coup je soutins son regard, lui montrant que s’il était mécontent ce n’était pas la peine de m’en faire voir de toutes les couleurs.

- Et bien la prochaine fois vous vous arrangerez pour ne pas les laisser tomber comme l’aurais fait un gamin de trois ans. Et puis je fais ce que je veux et ce n’est pas à quelqu’un comme vous de me dire le contraire.

Il était mécontent, c’était visible comme le nez au milieu de la figure pourtant maintenant que j’avais commencé il fallait que je finisse. Mais voila que maintenant il se ressaisissait et reprenais son air mielleux de tout à l’heure, comme s’il pouvait d’un coup oublier son précédent accès de colère. Si j’allais bien ? Pourquoi pas ? Je le regardais à nouveau, lui montrant que je n’avais pas apprécié qu’il change comme ça d’attitude, on était mécontent ou on ne l’était pas. Moqueur ? Surement. Après tout, qu’avait-il à s’inquiéter pour moi lui qui ne chercher qu’à se débarrasser de ma personne depuis qu’il m’avait rencontré.

- Vous devriez plutôt vous inquiéter pour vous…

Un coup d’œil rapide à son front, pas grand-chose en somme. Je le savais grâce aux nombreux entrainements en salle ou ce genre de blessures arrivaient plutôt fréquemment. Cependant le savait-il ? Peut être pas, cela valait peut être le coup de lui faire remarquer que non soigné ce genre de choses pouvaient prendre des proportions non négligeables. Il valait mieux pour cela appeler quelqu’un qui puisse voir de plus près. Et qu’il ne compte pas sur moi pour que je lui fournisse de quoi se nettoyer ou quoi que ce soit. Certes je n’habitais pas loin mais jamais je n’inviterais un inconnu comme ça. Je me rapprochais tout de même pour regarder ce que donnait sa blessure, après tout je pouvais me tromper.

- Peut-être attendre les secours, ils vous nettoieront ça rapidement, deux ou trois personnes les ont appelés ici et si vous arrivez à vous faufiler entre les blessés.

Bien sur ils ne le feraient pas passer en premier, d’après ce que j’avais vu tout à l’heure, raison pour laquelle je me focalisais sur lui, il y avait des personnes dans un sale état.

Il rangea soigneusement ses cartes dans la poche de son pantalon. Toucher ces cartes était pour lui un véritable affront, et le mettait dans un état des plus désagréables, comme Sasha avait pu s'en rendre compte. Cependant, après recompte, il en manquait une. Ce même joker qu'il avait lancé contre le paquet qu'elle tenait pour le faire tomber.
D'ailleurs s'il avait raté son coup, et touché la jeunne fille au lieu du paquet, elle ne serait plus là pour parler. S'en rendait-elle compte ? Avait-elle eu le temps, dans le bref instant où elle avait tenu les cartes, de se rendre compte de la différence radicale -bien que peu visible- qu'il y avait entre celles de Joke et celles qu'il lui avait données ? Non ? Eh bien ça n'allait pas tarder.

"Je ne vois pas de quoi tu te plains, honnêtement. Certes je n'aurais pas du les faire tomber, mais finalement ça s'est avéré utile... regarder derrière, et look back."

Il la contourna, et alla récupérer sa carte là où elle était restée coincée. En travers de la gorge d'un pauvre hère qui devait certainement se trouver par ici au moment du séisme. Le lancer de Lunarfang avait été assez fort pour faire ricocher la petite arme derrière Sasha. Elle s'était plantée dans la trachée de l'homme maintenant mort. Il n'avait plus pu respirer, sans compter le sang qui avait coulé de partout, et était finalement mort, d'asphyxie et d'hémorragie. Quant à savoir si Joke l'avait fait exprès... Certainement. Mais pas pour les raisons qu'on aurait pu croire. En effet, cet homme n'était pas un citoyen ordinaire. Mais bien un criminel recherché, pour pédophilie et plusieurs viols d'étudiantes. Sa mort n'était en l'occurrence que justice, puisqu'il aurait de toute façon été condamné s'il s'était fait repérer. En y regardant de plus près, on pouvait voir que son bras et sa jambe formaient toutes deux un angle assez improbable. Elles avaient du être brisées dans les chutes de gravats ou les accidents de la route survenu pendant le tremblement de terre. Il ne serait pas allé bien loin, et aller voir les secours aurait signifié sa perte. Cela faisait quelques jours qu'il faisait la une des journaux papier et télévisés.

Cependant, Joke ne l'avait pas tué par esprit de bonté envers la société, ne rêvez pas. Le cadavre tenait un couteau militaire en main. Et il était, juste avant sa mort, derrière Sasha. La jeune fille n'était pas désagréable à regarder du tout, et il semblerait que Joke n'était pas le seul à le penser. Mis à part que lui n'avait pas tenté de la tuer. En vérité, c'étaient ses cartes qu'il avait sauvé. Se Sasha s'était faite attraper par ce guignol, il aurait certainement pu les perdre, et c'était une chose qu'il n'arrivait pas à accepter.
Il se pencha donc sur le mort, et retira sans la moindre cérémonie la carte restée dans sa gorge, sans se soucier de l'ignoble bruit de succion qui suivait l'extraction. Il la nettoya consciencieusement sur son haut, et la rangea avec les autres. Il n'éprouvait pas le moindre remords, cela se voyait parfaitement. Suite à ça, il se tourna vers Sasha, un petit sourire ironique aux lèvres en entendant sa remarque sur les secours.

"Il semblerait il y a quelques temps que je leur aie fourni un peu trop de travail. S'ils se souviennent de moi, ils risquent de m'en vouloir, et ne me soigneront pas. Autant que j'aille nettoyer tout ça... "chez moi". "

Il cachait bien évidemment la raison de son manque de motivation pour aller voir les secours. Ils avaient certainement aperçu l'avis de recherche lancé par les forces de l'ordre après son évasion de prison. Et même s'ils le soignaient, ils le livreraient ensuite aux autorités. Et après dix ans passés en cage, il n'était pas prêt à y retourner. Donc... Il nettoierait ça comme bon lui semble. La blessure n'était en soi pas grave. Le sang continuait de couler, et le teint de Joke était un peu plus blafard que d'ordinaire, mais il y survivrait. Il en fallait tout de même beaucoup plus pour l'envoyer ad patres.

Il se retourna, et observa ensuite le chaos qui régnait un peu partout. Le tremblement de terre avait été plutôt violent tout compte fait. Il n'avait pas eu le temps de s'en rendre compte au milieu de la cohue, mais les dégâts avaient été plutôt sérieux. Pas mal de personnes erraient dans tous les sens, à la recherche de leurs proches, ou des gens avec qui ils étaient au moment de la catastrophe. Nombre d'entre elles étaient blessées, et il crut même apercevoir quelques autres personnes pleurer devant des corps sans vie. Un spectacle apocalyptique, démesurément triste et terrifiant. Un sourire mauvais éclaira son visage d'une lueur inquiétante, puis il fit volte face.

"Bien, avec un peu de chance ma maison est encore debout... Je vais laisser toutes ces âmes perdues à leurs pleurs et leurs cris, je prendrais bien une douche et... une bonne pizza."

Il eut un rire amusé, et reprit sa marche comme elle avait commencé. Comme si rien ne s'était passé depuis qu'il avait quitté le bar.

Invité

J’avais eu de la chance, mais bien sur, je me faisais jeter pour une raison inconnue. J’avais compris qu’il tenait à ses cartes mais il y avait tout de même une limite. A moins que… Il venait de lancer une de ses cartes et je me retournais juste pour voir un homme s’effondrer. Il venait juste de tuer quelqu’un sans le moindre remord avec une des cartes qu’il venait de me reprendre. C’était le vrai Joke ? Celui dont toute la ville parlait depuis un certain temps, celui qui s’était échappé de façon encore inconnue et qui avait, il parait, « repris du service » comme ils le disaient si bien.

Un frisson dans le dos, on le disait relativement susceptible et je n’avais pas été des plus conciliantes avec lui. Voila comment il avait fait pour faire tomber les cartes que je tenais dans la main il y a peu, autre chose que je ne savais pas faire avec des petits bouts de carton. Dire que ça aurait pu être moi au lieu de l’homme au sol. Le couteau avait glissé de sa main. Car il tenait un couteau, et, malgré le dégout que ce corps à la gorge tranchée m’inspirait je me forçais à le regarder, je l’avais déjà vu il me semble. Télévision dans les grandes surfaces, le peu de fois ou je regardais cet écran mouvant en faisant les courses j’avais eu le droit à sa photo ainsi qu’au récapitulatif de son tableau de chasses et de ses divers méfaits. Autant dire que ça faisait froid dans le dos de savoir que certaines personnes étaient capable de faire ça…
Froid dans le dos de me rendre compte, que j’étais peut être la prochaine sur la liste malgré les blessures apparentes qu’il avait. Dans ce carnage on aurait surement attribué ma disparition au tremblement de terre. Dire que j’étais en vie en partie grâce à un tueur réputé pour assassiner ses « camarades ».

Je le laissais ramasser sa carte, grimaçant sous le bruit pas des plus agréables de l’objet que l’on retire de la chair. Pourtant, il fallait bien admettre que sur le coup je lui devais au minimum ma vie… Pas très agréable de savoir cela sachant que c’était quelqu’un sans pitié qui ne semblait agir que pour lui. Pourtant je ne voyais pas ou était son intérêt dans la mort de cet homme, peut être encore quelque chose que je ne saurais jamais. Je lui était redevable mais n’allais pas le lui faire remarquer, rendre service à quelqu’un de normalement constitué, si l’on peut dire comme ça, était déjà assez dérangeant alors là…

Je ne bronchais donc pas lorsqu’il décida de ne pas aller voir les secours, comprenant pourquoi mais n’ayant pas non plus envie de prendre à nouveau des risques en le contrariant. Il ne fallait pas trop jouer avec la chance, j’avais échappé déjà deux fois à bon nombre de souffrances il semblait alors bon… J’haussais donc seulement les épaules et m’asseyais sur les gravats, regardant les secours passer en vitesse. Lorsque la pagaille se calmerait on se rendrait vite compte que cet homme n’avait pas trépassé de façon naturelle et je n’avais pas trop envie que l’on se rende compte que j’étais dans les parages.

- Tu fais comme tu veux mafois…

Il sourit, donna ses projets proches comme une invitation à le suivre avant de se mettre à rire et s’en aller les exécuter. Je me levais et soupirais, je ne comptais pas le suivre pas plus que l’inviter chez moi au cas où son bâtiment soit détruit, il ne devait pas vivre dans le luxe et vu la façon dont ça avait tremblé autant dire qu’il ne devait pas rester grand-chose mais après tout, ce n’était pas mon problème. Je décidais donc de rentrer chez moi, j’avais peur de tout ce qui venait de m’arriver. Je comptais retourner au travail demain, nettoyer comme toutes les autres, ne recevoir qu’une maigre paye à cause de ce carnage. Du coup il valait mieux pour moi que je m’en aille avant de me faire réquisitionner pour apporter de l’aide aux âmes en peines qui se trouvaient ici. Surement qu’il y aurait à faire chez moi si mon bâtiment tenait toujours debout.
Je suivais donc mes ruelles, tentant de me repérer à travers les divers gravats et personnes qui s’étaient et couraient dans les rues. Dire que d’habitude je n’avais aucun sens de l’orientation alors maintenant..

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